La dette, le dilemme du Kenya dans la réalisation de la couverture sanitaire universelle (CSU)
20 octobre 2023
Author: Derick Ngaira
La Secrétaire du Cabinet de la Santé du Kenya s'adresse aux participants lors du dialogue national du pays sur le financement national de la santé en juin 2023 à Nairobi.

Le meilleur état de santé possible est l’un des droits fondamentaux garantis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Selon le PIDESC, toute personne jouit de ce droit en tant qu’être humain. La Charte africaine (de Banjul) des droits de l’homme et des peuples ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme soutiennent également ce droit. Il incombe donc aux gouvernements de protéger ce droit en offrant aux citoyens l’accès à des soins et à des services de santé de qualité.

La Stratégie africaine de santé 2016-2030 postule que des mécanismes de financement de la santé durables et prévisibles sont essentiels pour construire des systèmes de santé viables et constituent un élément essentiel pour la réalisation de la couverture sanitaire universelle (CSU). Affecter des financements adéquats au secteur des soins de santé est l’un des plus grands défis auxquels est confronté la réalisation de la CSU au Kenya. Des intérêts nationaux concurrents en matière de développement, associés à un espace budgétaire restreint, aggravé par l’énorme dette publique, limitent le financement public de la CSU par le biais des recettes fiscales.

Selon les chiffres du Contrôleur du budget 2023, la dette publique et garantie par l’État du Kenya en termes nominaux s’élève à 10 200 milliards de Ksh, ce qui est supérieur à la limite légale de la dette publique de 10 000 milliards de Ksh fixée dans la loi sur la gestion des finances publiques de 2022. Le paiement des intérêts sur les prêts publics, les dettes du secteur, les retraites et les prêts nets sont estimés à 986,2 milliards de Ksh, soit l’équivalent de 27 % du budget total du gouvernement pour l’exercice 2023/24. Il s’agit de la charge la plus élevée du budget au cours de l’exercice financier. Le paiement de la dette a évincé les secteurs sociaux tels que la santé, qui a reçu 141,2 milliards de Ksh, ce qui représente 11 % du budget national du pays pour 2023/24, et est en deçà de l’engagement de 15 % visé dans la Déclaration d’Abuja de 2001.

Les soins de santé primaires sont une fonction décentralisée et un facteur clé pour parvenir à la CSU. Cependant, au cours de l’exercice en cours, les gouvernements des comtés ont reçu 385,4 milliards de Ksh dans le cadre des revenus totaux collectés à l’échelle nationale. Même si les comtés ont alloué en moyenne 29 % de leur budget à la santé, la ponctualité des décaissements et l’adéquation des fonds restent un défi, ce qui a toujours eu un impact sur la prestation des services de santé dans les unités infranationales.

Une étude d’analyse coûts-avantages réalisée en 2023 par Daniel Mwai et al., montre que l’investissement dans les soins de santé primaires (SSP) est une initiative d’optimisation des ressources. L’étude intitulée « Argumentaire d’investissement pour les soins de santé primaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire : étude de cas du Kenya » a révélé que chaque dollar investi dans les interventions en matière de soins de santé primaires permet d’économiser jusqu’à 16 dollars en dépenses liées à des conditions telles que le retard de croissance et les maladies non transmissibles, l’anémie, la tuberculose, le paludisme et la morbidité maternelle et infantile.

Cependant, malgré les énormes avantages de l’investissement dans les soins de santé primaires, par rapport au taux de croissance démographique, l’expansion des infrastructures de santé a été lente aux niveaux 1, 2 et 3, encombrant ainsi le niveau 4 et les établissements de référence. La lente expansion est due à l’insuffisance des ressources allouées au secteur. La pénurie d’installations médicales, d’outils et de matériels dans les hôpitaux est devenue à l’ordre du jour. Les boycotts des travailleurs et le choix de certains de quitter la fonction publique en faveur de perspectives lucratives dans le secteur privé et à l’étranger ont récemment frappé le secteur. Une situation qui a énormément compromis la prestation des soins de santé. Les sommes considérables consacrées au service de la dette sont donc inquiétantes, surtout lorsqu’il n’est pas clairement documenté quelle part de ces dettes va réellement au secteur de la santé. À l’exception de projets d’infrastructure spécifiques et de dépenses récurrentes, les rapports du Contrôleur du budget et de l’Auditeur général ne donnent aucune information sur la partie du montant emprunté destinée à soutenir le secteur des soins de santé.

Les efforts de collaboration entre le gouvernement et la société civile sont essentiels pour trouver des solutions innovantes visant à renforcer la discipline budgétaire, à accroître la génération de revenus et à rationaliser la gestion de la dette. En outre, les organes constitutionnels indépendants, comme l’Auditeur général, la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption et le système de justice pénale, devraient avoir leurs antennes hautes pour garantir une plus grande responsabilité et transparence quant aux ressources qui doivent être allouées et dépensées judicieusement.

Le fardeau du service de la dette publique a mis à rude épreuve les ressources disponibles, entravant l’allocation de fonds adéquats au secteur de la santé. L’urgence de s’attaquer à ce problème ne peut être surestimée, étant donné que des soins de santé de qualité restent une pierre angulaire essentielle du bien-être de la société. Les obstacles au progrès dans le financement des soins de santé doivent être surmontés et les investissements dans les soins de santé primaires doivent être prioritaires afin d’optimiser le rapport coût-efficacité. Il est impératif que le gouvernement, en collaboration avec ses partenaires, travaille avec diligence pour garantir que le droit à la santé ne soit pas seulement une promesse mais une réalité tangible pour tous les citoyens, quels que soient les défis financiers auxquels le pays est confronté.

 

Lié au : Projet Faire progresser le financement, la gouvernance et la responsabilité de la santé au niveau national

Related To: